dimanche 14 décembre 2008

Interview Hamoré

Hamoré ; Vos prédécesseurs à la tête de la revue ont été interviewés au moment où ils ont quitté cette responsabilité ou bien la direction du département de l’Enseignement du FSJU. Pour vous proposer cet entretien qui vous fera connaître davantage à nos lecteurs, nous saisissons l’occasion de la récente décoration que vous avez reçue des mains du ministre de l’Education nationale, Xavier Darcos, les Palmes Académiques ! Votre premier article dans Hamoré date d’il y a vingt ans ; il y a douze ans que vous avez été nommé secrétaire général de notre revue, alors que vous étiez déjà chef du département de l’Enseignement, et depuis quatre ans vous êtes notre directeur. Cette belle carrière au service de l’éducation juive que nous allons commenter ensemble, l’aviez-vous envisagée au départ ? Autrement dit, qu’est-ce qui vous y a préparé ? LES VOIES DE LA PROVIDENCE … Patrick Petit-Ohayon : D’une certaine façon, elle n’était pas prévisible, car je n’avais pas de projet de carrière. Je dirais qu’elle était déjà en potentialité depuis longtemps. Lorsque j’étais lycéen dans un établissement public, il m’arrivait assez souvent d’avoir une forme d’enseignement du Judaïsme avec des non juifs, racontant à mes camarades ce que je découvrais ou ce que je lisais sur le Judaïsme. Donc quelque part, c’était déjà en prémices, par une forme de disposition à la transmission et à l’étude. Par la suite les choses se sont enchaînées, je ne dirais pas d’elles-mêmes, mais parce que (l’expression peut paraître un peu présomptueuse) il y a une Hachga’ha (1). Toutes les rencontres ont été faites de cette manière-là, à commencer, lorsque j’étais jeune, avec le Talmud-Tora par correspondance, parce que c’est “par hasard” que j’en ai découvert l’existence. J’habitais en Bretagne et un jour, sur un marché, ma mère rencontre une marchande qui avait un pendentif en forme de Mézouza. Donc elle s’approche et l’interroge et c’est par la proximité avec cette autre famille juive qu’on a découvert l’existence du Talmud-Tora par correspondance, fait à l’initiative du Rabbin Jean Schwarz, dont il faudrait rappeler l’œuvre éducative très importante. Pour le choix, plus tard, de la Yéchiva de Montreux, c’est la même chose. Après une période à l’université, avant de partir à l’armée, je décide d’y aller pour un séjour d’été ; puisque en tant qu’étudiant j’étais convoqué pour une intégration du service militaire le 1er d’août, j’avais un mois de vacances. Je décide d’aller étudier dans une yéchiva pendant le mois de juillet. Le journal qu’on connaissait à l’époque, c’était Information Juive : j’y ai trouvé deux publicités, l’une pour la Yéchiva d’Armentières dans la région parisienne et une autre pour la Yéchiva de Montreux. Puisque c’étaient mes vacances, je me suis dit : « Autant aller en Suisse et découvrir cette région !» C’est ainsi que je suis parti pour Montreux. J’y ai passé trois semaines. Pendant toute mon année d’armée, j’ai correspondu à la fois avec Rav Shaoul David Botschko et avec Rav Abraham Weingort et après cette année d’armée, j’ai décidé d’interrompre mes études à l’université et de passer trois ans à la Yéchiva de Montreux. J’ai fait le Beth Midrach Lemorim, structure destinée aux élèves post-bac pour devenir enseignants de kodech. J’hésitais encore à l’époque entre le rabbinat et l’enseignement. J’ai choisi finalement l’enseignement et je ne le regrette pas. C’est souvent comme ça … Il y a quelque part, je pense, une direction qui est donnée …Ce ne sont pas des choix complètement libres, ce sont des choix qui sont guidés qui mènent … là où je suis aujourd’hui. Probablement parce que j’ai quelque chose de particulier à y faire, que j’essaie de faire en tentant de le comprendre le mieux possible.. Hamoré : Comment expliquer le choix que vous avez fait d’entrer au Fonds Social ? P. Petit-Ohayon : L’entrée au Fonds Social n’était pas prévisible non plus ! D’abord parce que, en tant que prof de Kodèch, je ne le connaissais pas vraiment, et là aussi, c’est à travers des rencontres, en particulier avec Hamoré, mais aussi grâce aux visites impromptues de Prosper Elkouby qui, lorsqu’il allait dans les établissements, avait l’habitude de rentrer dans les classes. C’est ainsi qu’il est entré dans ma classe à plusieurs reprises, à Ets ‘Haïm comme à L’Alliance de Pavillons-sous-Bois. Nous avons fait un peu plus connaissance et au moment où il réfléchissait à la mise en place de l’Institut André Neher, il m’a sollicité pour en faire partie. Je suis donc entré au Fonds Social en septembre 1992, à mi-temps, pour l’accompagner dans la mise au point de la première formation — la formation de formateurs. Hamoré : Ne faisiez-vous pas partie vous-même de ces formateurs en puissance ? P. Petit-Ohayon : J’ai joué trois rôles ! D’abord j’ai fait la première maquette de la formation, c’est-à-dire la rédaction du premier projet qui a été plus tard réadapté par Benno Gross lorsqu’il a pris la responsabilité de cette formation. J’étais en même temps coordinateur de la formation et aussi stagiaire de la formation. Hamoré : Vous aviez déjà sorti votre premier livre ? P. Petit-Ohayon : C’était en 1989 : il m’a été commandé par Félix Schliachter, à la suite de sa lecture d’un texte que j’avais publié dans Hamoré où j’évoquais la place des parents dans l’éducation. Nous nous sommes rencontrés lors d’un séjour de Soucot à Elisabethville dans le cadre de Ets ‘Haïm (succursale de la Yechiva de Montreux). L’ouvrage est sorti sous le titre “Parents et enfants juifs”. J’ai beaucoup travaillé après avec Félix Schliachter jusqu’à sa alya. Ainsi j’ai publié encore “L’enfant, la famille et le livre”. J’ai travaillé avec lui dans le cadre de la Fédération internationale pour l’éducation des parents, une ONG ayant son siège à Sèvres. J’ai réalisé pour lui un projet de tutorat parents-enfants. J’ai beaucoup réfléchi à cette époque sur un sujet qui le préoccupait spécialement, les ‘Hougué Horim et les écoles de parents. J’ai continué encore quelque temps après mon entrée au Fonds Social. Hamoré : C’est votre premier article dans Hamoré qui vous a fait connaître de Félix Schliachter et du FSJU ! P. Petit-Ohayon : J’ai commencé à écrire déjà bien avant, lorsque j’étais à la Yéchiva de Montreux. Je rédigeais des commentaires sur la Parachat hachavoua que j’affichais dans la salle à manger. J’ai réalisé un petit recueil de ces commentaires qui s’appelait “L’échelle d’Israël”, dans les années 1982-83. Hamoré : Vous avez aussi enseigné au Talmud-Tora de Neuilly ? P. Petit-Ohayon : Oui. J’ai travaillé avec le Rabbin Jérôme Cahen que j’ai rencontré à la Yechiva de Montreux où il venait pratiquement chaque année avec sa femme et ses enfants à la remise des diplômes, fin juillet. A cette occasion, chaque élève faisait une dracha et, à la fin de ma dracha, il m’a dit : « Si jamais l’année prochaine vous êtes en région parisienne, venez me voir, je vous trouverai quelque chose.» L’année suivante, ne trouvant pas de travail en Alsace où habitaient ma mère et ma sœur, je décide de venir en région parisienne et trouve un demi-poste à Pavillons-sous-Bois. Je suis allé voir le Rabbin Cahen et il m’a tout de suite proposé d’enseigner au Talmud-Tora. J’y suis resté pendant sept ans … encore un peu après sa disparition, quand le Rabbin Alexis Blum était déjà en poste. J’avais la kita Dalèt et une classe post-bar-mitsva. pour lycéens de 15-17 ans, le dimanche à midi : je donnais un cours de Guemara auquel participaient les enfants du Rabbin Cahen. Hamoré : Après ce regard sur le passé, abordons maintenant ce que vous avez réalisé en tant que chef du département de l’Enseignement. Pour commencer, vous avez réussi, je crois, à faire l’unité de l’ensemble des écoles juives de France ? P. Petit-Ohayon : Depuis 1997, il y a une union qui s’est vraiment réalisée autour de la Commission de Concertation, de sorte qu’aujourd’hui toutes les négociations de contrat sont faites par le Fonds Social au nom de la Commission de Concertation. J’ai essayé de rendre plus cohérentes notre mission auprès des pouvoirs publics. Tout le monde participe, sans conflits, à la répartition des moyens en fonction des priorités, établies chaque année par la Commission de Concertation, au niveau national, de manière à éviter tout favoritisme et à avoir la répartition la plus objective possible. UN OBSERVATOIRE NATIONAL DE L’ÉCOLE JUIVE Hamoré : Qu’avez-vous encore réalisé d’autre ? P. Petit-Ohayon : J’ai élargi les relations du Fonds Social à l’ensemble des écoles juives. A l’heure actuelle, nous sommes en relation avec tous les établissements, adhérents ou non au Fonds Social, sous contrat ou hors contrat, et de tous les réseaux, Loubavitch, ‘Harédi, ainsi que les écoles de l ‘Alliance, de l’ORT. … Il y a quinze jours, j’ai participé au gala de l’Ecole Fanny Munk du Rav Frankforter. Il y a trois semaines, je suis allé rendre visite à la Yéchiva de Brunoy. On a de bonnes relations avec l’école d’Armentières, on les aide comme on peu quand ils sont en difficulté. Nous sommes au service de toutes les écoles. Ensuite, j’ai créé et structuré un véritable observatoire de l’école juive ; en systématisant des enquêtes et en les informatisant, on s’est doté des outils qui nous permettent à la fois l’analyse de l’existant et la projection de l’évolution du système de l’enseignement juif. Hamoré : Tout ce travail, vous le faites seul ? P. Petit-Ohayon : Pendant longtemps je l’ai fait seul avec mon assistante, Myriam Cohen. Ensuite Nathalie Aknin a repris la gestion des chiffres. Enfin depuis deux ans, Marlène Lehrer nous a rejoints pour l’analyse des enquêtes. C’est une ancienne directrice d’école primaire du public. A partir de ces informations on est en mesure de présenter aux chefs d’établissement et aux services communautaires un certain nombre de données de compréhension des évolutions du terrain. Cela à travers des plaquettes qu’on a rédigées sur l’école juive, notamment celle sur les perspectives d’évolution des effectifs à dix ans. On essaye aussi de définir, à partir de ces enquêtes, les besoins prioritaires pour l’amélioration de la qualité de l’école juive. La consultation nationale de l’an dernier s’inscrit tout à fait dans le cadre de cet observatoire de l’école juive. Cela nous permet aujourd’hui d’accorder la priorité à un certain nombre de problématiques, notamment le travail que nous avons amorcé maintenant sur les programmes de lutte contre l’échec scolaire. Ce sont des éléments d’information qui nous permettent de mieux connaître le terrain et, en même temps de définir des priorités, à la fois budgétaires et stratégiques. LE CENTRE JUIF DE PUBLICATIONS PÉDAGOGIQUES. On a édité depuis 1995 un certain nombre de publications pédagogiques, comme Les dossiers de l’enseignant en éducation civique communautaire (sur le troisième âge, sur le maasser kessafim, l’enseignement de la Shoah dans le cadre des Journées de la mémoire …). Ce sont aussi les ouvrages de pensée juive que j’ai publié dans le Centre juif de publications pédagogiques. L’objectif est de fournir un support pédagogique soit pour l’élève, soit pour l’enseignant pour lui permettre d’améliorer la qualité de son enseignement sur des problématiques qui sont les plus défavorisées. En histoire juive, un premier volume est sorti sur les origines de l’écriture dans le Croissant Fertile. Dans ce cadre aussi, le dernier sorti, de J. Milewski sur l’enseignement de la halakha. (2) Ces publications doivent permettre l’amélioration du contenu de l’enseignement et viennent donc en complément de la formation. J’ai pris également un certain nombre d’initiatives d’ordre pédagogique, soit en direction des élèves avec les Journées de la mémoire, par exemple, qui ont duré pendant cinq ans (aujourd’hui le Mémorial de la Shoah a pris la relève),soit en direction des parents avec les Entretiens pédagogiques de Rachi dont Hamoré a publié d’importants extraits. Ajoutons à cela des initiatives prises par mon prédécesseur et dont j’ai hérité, comme le Prix Corrin Par ailleurs nous avons repris depuis une dizaine d’années la coordination du DUEJ (Diplôme Universitaire d’Etude sur le Judaïsme) autrefois géré par les responsables du Centre Rachi. PROJETS D’AVENIR. Hamoré : Et maintenant, parlons de l’avenir : quels sont vos nouveaux projets ? P. Petit-Ohayon : Je viens de mettre en place une équipe de conseillers pédagogiques qui aident directeurs ou professeurs dans leur pratique quotidienne, en enseignement juif, en hébreu et dans la lutte contre l’échec scolaire. Tous ces conseillers sont eux-mêmes des enseignants encore sur le terrain. Ils ont une mission de recherche et de conseil. En Kodèch, une enquête est lancée sur l’éducation à la solidarité dans nos écoles, afin de pouvoir la stimuler. En hébreu, une enquête est en cours au niveau du primaire. (3) Pour la lutte contre l’échec scolaire, une enquête s’intéressera à ce qui est fait par les professeurs dans leur classe en ce domaine. Un premier bilan a été établi lors de l’assemblée des directeurs d’écoles en Janvier 2008 — une quarantaine y ont participé — qui ont fait des propositions pour améliorer la situation. En dehors de la classe, nous avons créés des ateliers de méthodologie scolaire s’appuyant sur la méthode Feuerstein (3). Par ailleurs, un portail pédagogique est en chantier avec le site Akadem pour l’enseignement des matières juives. C’est un espace destiné aux professeurs avec des dossiers thématiques pour les aider à préparer leurs cours. Des fiches pédagogiques, des articles de Hamoré, des conférences sur Akadem, des articles de Manitou, des pages correspondantes sur le site Sefarim, etc. D’autre part, la Fondation Rachel et Jacob Gordin a été créée récemment pour intervenir dans le champ de l’immobilier scolaire, maintenir les bâtiments existants, créer de nouveaux projets. Depuis janvier, une quinzaine de dossiers sont à l’étude, mon département assure la coordination des expertises et l’accompagnement des dossiers, en collaboration avec Jean-Daniel Lévy qui préside le Comité de Gestion de la Fondation. Il faut enfin mentionner le programme Latalmid qui a été mis en place l’an dernier, en partenariat avec le département social, pour accorder des bourses aux élèves les plus défavorisés qui risquent d’être exclus de l’école juive, faute de moyens financiers suffisants. Il en a été question dans le précédent numéro de Hamoré. EN CONCLUSION En plus de la professionnalisation et de la mise aux normes progressive de nos écoles, je travaille depuis plusieurs années à l’amélioration de la qualité de l’enseignement afin d’élever le niveau des contenus et de les adapter aux besoins des élèves d’aujourd’hui. Nous espérons ainsi diminuer le nombre des adolescents qui sortent de l’école juive rebelles au Judaïsme en leur en donnant une image aussi positive que possible. En parallèle j’ai fait évoluer le positionnement du département qui vise maintenant à permettre à chaque enfant juif d’avoir accès à l’école juive de son choix, dans des conditions matérielles optimales et avec la qualité qu’il est en droit d’espérer. Je ne suis pas là pour imposer des choix idéologiques, mais pour permettre à chaque établissement d’améliorer sa prestation dans le respect de son identité. Il en va de l’avenir de l’école juive et à travers elle de l’avenir de la communauté juive de France. (1) La Providence. (2) Voir notre n°182, p.64. (3) Voir ci-dessus à la rubrique “Actualité”.

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