dimanche 14 décembre 2008

Discours à l’occasion de la remise des Palmes Académiques

Merci, Monsieur le ministre, d’avoir accepté, avec autant de spontanéité, de me remettre les Palmes Académiques. Votre présence est un signe fort de votre soutien, non seulement pour moi, mais également pour l’institution que je représente, et pour le réseau de l’enseignement juif en France.
Merci, Monsieur Pierre Besnainou, Président du Fonds Social Juif Unifié, d’avoir organisé cette remise de décoration avec autant d’ampleur, ainsi que les membres du comité directeur qui gèrent cette institution.
Merci, Monsieur le grand Rabbin et Messieurs les rabbins d’être présents pour cette cérémonie,
Merci, à ma famille et à mes amis, d’être ici ce soir avec moi pour partager cet évènement, certains sont venu de l’autre bout de la France, d’autres de l’étranger.
Les Palmes Académiques, que vous venez de me remettre, Monsieur le ministre, ont été créées par Napoléon pour honorer les membres de l’université. Depuis 1955, cet ordre a été ouvert aux personnels relevant du ministère de l’éducation nationale, ainsi qu’aux personnes, qui rendent des services au titre des activités de l’éducation nationale. C’est dans cette dernière catégorie que je suis sensé me situer.
En effet, comme vous l’avez évoqué, après une dizaine d’années consacrées à l’enseignement, j’ai rejoint le Fonds Social Juif Unifié d’abord pour participer avec Prosper Elkouby, que vous avez bien connu, à la mise en place de l’Institut André Neher.
Ensuite, depuis Janvier 1995 pour assumer la responsabilité du département de l’enseignement dans lequel j’œuvre au développement du réseau de l’enseignement juif en France.
C’est dans ce cadre que j’ai été amené ces dernières années à renforcer nos relations avec le ministère de l’éducation nationale. Nous avons ainsi façonné, ensemble, depuis 13ans, un véritable partenariat tant au niveau national qu’au niveau régional dans les 13 académies où sont situées les écoles juives, avec les Recteurs, les Inspecteurs d’académies ou les services de l’enseignement privé. A tous ces niveaux j’ai à cœur de travailler dans l’écoute mutuelle, dans le respect réciproque et dans la confiance pour faire progresser la prestation éducative proposée aux enfants dont nous avons la charge.
Cette prise en charge éducative doit être de qualité et doit nourrir une ambition pour chaque enfant afin de l’accompagner vers sa réussite, elle doit également permettre à nos élèves de s’inscrire pleinement dans le projet citoyen et républicain de la France. La loi Debré de 1959 instaurant l’école privé, distingue l’enseignement général de l’enseignement religieux, dit de caractère propre. Cependant cela ne signifie pas que les valeurs morales, humanistes et sociales de l’un ne sont pas en relation avec celles de l’autre. C’est ensemble, avec ces multiples approches que nous formons dans nos écoles le citoyen de demain.
Le texte biblique présente ainsi la relation entre ces valeurs :
« Que D-ieu étende Japhet et qu’il réside dans les tentes de Sem. » (Genèse IX, 27).
Ces quelques mots appellent un commentaire, permettez moi de le développer quelques instants devant vous.
Tout d’abord ces paroles sont prononcées par Noé, l’un des pères de l’humanité, en s’adressant à deux de ses fils : Sem et Japhet. Le nom Japhet dérive en Hébreu du mot Yaphé qui désigne la beauté. Or, dans la tradition talmudique (Méguila 9b) Japhet est considéré comme le père de la civilisation occidentale, notamment à travers son petit-fils Yavan qui préfigure la Grèce.
Le Talmud reprend notre verset comme ceci : « La beauté de Japhet sera dans les tentes de Sem ». Or, continu le Talmud : « Qui a-t-il de plus beau chez Japhet que la langue Grecque ? » C’est pourquoi dès cette époque les Sages permettent la traduction de la bible hébraïque en grec. Le rabbin Hirsch au XIXème siècle, étend cette vision aux beaux-arts, à la littérature, à la science… qui sont les nouveaux atours de la société occidentale.
Le second fils s’appelle Sem ce qui signifie en hébreu : le Nom, c'est-à-dire l’appellation qui fait exister les êtres et les choses, le concept qui réunis en quelques lettres tout un univers. Au-delà de l’existence c’est l’appel vers la transcendance, car le nom par excellence c’est celui de D-ieu. Il appartient ainsi aux enfants de Sem de privilégier les valeurs de la spiritualité, de la métaphysique.
La voie ainsi tracée pour les descendants de Noé est celle de la rencontre, de l’accueil de l’un par l’autre : que la belle culture de Japhet puisse résider dans les tentes de Sem.
Mais essayons d’aller un peu plus loin dans la réflexion. Pour quelle raison la Bible utilise-t-elle cette expression que « l’un réside dans les tentes de l’autre » pour désigner les relations entre l’occident et l’orient ? Que signifie ici résider ? Qu’elle est la symbolique de la tente ? Pourquoi la relation doit-elle s’instaurer dans ce sens et pas dans l’autre, par exemple, que Sem réside dans les tentes de Japhet ?
Le terme utilisé en hébreu pour indiquer la résidence est Yichkon qui signifie certes habiter, mais exprime également la présence. Ce n’est donc pas qu’une indication physique, c’est l’idée existentielle de la présence. Il ne peu s’agir d’une résidence fortuite ou passagère, c’est l’expression d’une volonté affirmée ou refusée. Par ailleurs, résider dans la tente ce n’est pas comme pour Achille, se cacher du monde extérieur, se réfugier pour y trouver la solitude et la sécurité. Dans la symbolique hébraïque c’est comme pour Jacob ou Abraham un lieu d’étude, ouvert sur le monde. La maison, refermée sur elle-même, coupe du monde, renforce l’homme dans son individualité, sa solitude et sa certitude, protégé qu’il est, par des murs solides.
Or justement la Bible nous transmet ici le message suivant : l’acquisition du savoir risque de nous enfermer dans une confiance tranquille qui nous coupe du monde environnant. Le pouvoir scientifique, la supériorité littéraire risque de conduire l’homme à se croire supérieur, voir à se prendre pour D-ieu. Le fait de s’installer dans la tente permet, par l’expérience de la fragilité de ramener le savoir à sa fonction de vecteur relationnel d’un bien à partager, à échanger, à transmettre.
C’est donc bien à Japhet, héros de l’esthétique et du savoir savant de résider dans la tente de Sem. Cela lui permet de faire l’expérience de la précarité qui mène vers la modestie. La quête du beau et de la science n’est pas une fin en soi, elle devient un moyen pour améliorer l’être en lui donnant l’occasion de se confronter à la différence et à la transcendance.
D’une certaine façon n’est ce pas là l’objectif de nos établissements sous contrats. Ils sont typiquement des tentes de Sem, des lieux où l’on essaye de développer la modestie par l’étude de la littérature biblique et talmudique afin que l’homme ne se prenne pas pour le nombril du monde. Mais pour que l’étude ne devienne pas un isoloir elle doit s’ouvrir sur l’autre, elle doit être en mesure d’accueillir la démarche de Japhet et lui permettre de trouver sa place afin qu’un enrichissement mutuel puisse avoir lieu.
De tout temps je me suis senti investi par cette mission qui vise à favoriser la rencontre entre ces deux sphères qui ont parfois du mal à comprendre leur complémentarité. Dans ma vie personnelle, à travers mes cours, dans mes livres, mais également dans ma vie professionnelle je tente de faire en sorte que la rencontre entre les exigences des uns et les aspirations des autres soit la plus harmonieuse possible.
Dominique Vincentelli-Méria, il y déjà quelques mois, en tant que conseillère du ministre, a du penser qu’il y avait dans tout ceci quelque mérite, et a pris l’initiative de solliciter en ma faveur cette décoration, je l’en remercie très chaleureusement.
Avant de conclure,
Je voudrais associer à ces Palmes Académiques, mes parents, qui ne sont plus, mais qui tout au long de leur vie ont su me transmettre le goût de la connaissance.
Je voudrais y associer également ma femme qui m’aide avec sagacité à développer le meilleur de moi-même.
Mes enfants : Judith, Esther et Dan qui grâce à leur vivacité d’esprit me permettent de progresser en repoussant sans arrêt les dangers de la certitude.
Je voudrais y associer encore mes maîtres qui m’ont aidé à être moi-même tout en m’éclairant de leurs connaissances et de leur exemple.
Par ailleurs, je voudrais remercier : - David Saada, Directeur général du FSJU qui me fait confiance depuis 15ans et avec qui je suis souvent en phase,
- l’équipe du département de l’enseignement, qui me seconde au quotidien et tout particulièrement mon assistante Myriam Cohen qui me suit depuis plus de 10ans contre vents et marées,
- mes collègues du FSJU qui, chacun à sa manière, permet à la communauté, à la vie associative, de se développer dans la qualité
- les chefs d’établissements ainsi que les Présidents des écoles, dont bon nombre sont présents ce soir, avec qui je dialogue régulièrement, c’est avec eux que l’on fait avancer toujours plus l’école juive,
- mes interlocuteurs au ministère : Rolland Jouve, Michel Delacasagrande, Patrick Allal et leurs équipes… car c’est par le dialogue et l’échange que l’on déplace les montagnes.
Pour moi l’aventure ne s’arrête pas là. C’est juste une pose pour faire le point sur ce qui a été accompli avant de repartir car le travail n’est pas terminé, il y a encore tant à faire pour permettre aux enfants de nos écoles de bénéficier des meilleures conditions pour préparer demain et pour construire l’école de leurs enfants.

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